Je m’appelle Agnès Van Leeuw, une métisse aux multiples origines, née en France en 1964. Je suis éducatrice spécialisée, formatrice, socio thérapeute et massothérapeute.
Ceci étant posé, j’aimerais développer. Avant les mots, il y a le geste, le mouvement, les attitudes et les postures. Le corps est langage, le corps est communication. Ma manière d’appréhender le monde, de le comprendre, de communiquer avec lui et d’entrer en relation avec autrui, passe par mes perceptions de ce que ces corps veulent nous dire. Le corps en mouvement a toujours fait partie de ma vie. GRS (gymnastique rythmique et sportive) pendant plusieurs années. Ensuite, danse classique, jazz et Afro. Ex-danseuse professionnelle dans un corps de ballet Afro-Brésilien pendant huit ans. Pendant une dizaine d’années, j’ai été chorégraphe et animatrice d’ateliers en expression corporelle et workshop basés sur « Gestes, Mouvements et Emotions ».
La vie d’une danseuse professionnelle ayant une limite temporelle, et la vie offrant de multiples possibilités, j’ai repris des études en éducation spécialisée. Pendant une dizaine d’années, j’ai choisi de travailler et d’accompagner des adolescents en grande souffrance physique, psychique, sociale, relationnelle et émotionnelle, placés en institution d’hébergement (placement judiciaire).
C’est un métier magnifique. Mais il est aussi très prenant, énergivore sur bien des plans, peu valorisé. Les limites de nos autonomies de pensée et de mouvement dépendent « naturellement » du cadre institutionnel qui les définit. J’ai eu la chance incroyable en 2003 d’intégrer une équipe qui repensait son mode d’accompagnement du jeune et de sa famille. Institution Bruxelloise, « Le Tamaris » qui accueillaient pour des placements longs quinze adolescents âgés de 12 ans à 20 ans. Prise en compte et en considération des figures d’attachement du jeune, qu’elles soient familiales ou autres. Systémique, théorie de l’attachement, bienveillance, non renvoi, étaient les socles de base de l’accompagnement. Absolument tous les jeunes vivant dans cette institution avaient vécu des histoires jalonnées de ruptures sèches rarement expliquées, de parcours de déception, de rejets et d’humiliation maintes fois répétées, d’exclusion, de menaces au chantage, au renvoi. Ils ne connaissaient que cela. Les adultes censés les protéger (en ce compris la société) ont pour toutes sortes de raisons, faillis à leur devoir.
Il y a urgence à proposer et offrir à ces jeunes, ainsi qu’à leur famille, d’autres réponses ! Arrêtons de faire « un peu plus de la même chose », qui ne fonctionne pas. Pas, si on considère que ces jeunes sont les adultes de demain, des futurs parents et de potentiels futurs électeurs. Quel type de société voulons-nous ?
Osons le pari de la rencontre singulière, tentons de casser ce cercle infernal des ruptures, tentons de tenir bon ! Ne renvoyons pas un jeune pour les symptômes (comportements) qui l’ont précisément conduit ici. Osons sortir de cette violence institutionnelle. Proposons d’autres modèles d’adultes ; non menaçants, stables, fiables, contenants. Nommons nos failles, nos limites.
L’équipe est passée par des moments de doute, de découragement, de lassitude, d’essais et d’erreurs. De grandes joies aussi et de réussites. On ne change pas ses habitudes de travail si facilement et ce changement de paradygme et de posture professionnelle est un processus, cela prend du temps. Pour les équipes, pour les jeunes, pour les familles et le réseau. Le temps nécessaire à éprouver la différence entre savoir et se rendre compte. Je suis restée dix ans au Tamaris, les quatre dernières années comme coordinatrice pédagogique de l’équipe éducative. Ce dont je témoigne ici et qui me pousse aujourd’hui à former des équipes médico-socio-éducatives, c’est la conviction et la motivation que cela valait, et vaut la peine plus que jamais, de donner la possibilité aux usagers de constater par eux-mêmes (savoir) et d’éprouver (se rendre compte) que des professionnels de l’aide (contrainte ou pas), payés pour ce travail, ont crû en eux à un moment de leur vie, et ont « fait avec » ce qu’ils étaient en possibilité de donner. Parce que rien n’est figé, n’est déterminé. Parce que tous ont de la valeur, des ressources qui peuvent se muer en compétences.
« On ne peut rien faire pour réparer les blessures du passé, mais on peut miser sur toi à partir de maintenant et sur l’adulte que tu seras demain ».
L’accompagnement éducatif (les codes pro- sociaux), dans une relation pédagogique (la transmission), avec du soin social (accueil inconditionnel des émotions de l’autre) ; apprivoisons-nous d’abord, prenons ce temps nécessaire pour entrer en relation. Comment allons-nous faire, toi et moi, toi et nous, alors que nous ne nous sommes pas choisis ?
J’étais frappée par la manière dont les corps de ces adolescents se présentaient au monde ; deux façons distinctes :
- Soit, dans une ‘sur visibilité’ : voix trop forte, gestes amples, postures de combat, trop de maquillage, trop de démonstrativité de…, trop de place occupée dans l’espace social.
- Soit, dans une ‘invisibilité’ : voix murmurée, teint blafard, posture de soumission, très peu de bruit, inoccupation de l’espace social.
Mais dans les deux cas, les transgressions, les mises en danger, les auto et hétéro agressions étaient de même nature.
Face à ces adolescents si abîmés dans leur corps (corps intrusé, mutilé, nié, humilié…), le désir de me former davantage sur les champs psycho corporel, de la thérapeutique du soin et du lien, s’est imposé comme une évidence.
Chacun a sa façon d’entrer en relation avec un jeune, avec une famille. Ma porte d’entrée a été de prendre soin. En famille, c’est la sœur, la mère, le père, le frère, la tante, une amie de la famille qui prend soin d’un tas de choses dont les jeunes, dans cette tranche de vie charnière si particulière appelée adolescence, ont tant besoin. Et en institution comment font-ils ? L’importance du soin physiologique (rdv médicaux, souci de leur santé en général), soin d’esthétisation (ateliers bien-être, estime de soi), soin physique (respiration, sophrologie, massages), soin social (réseau)….
Que savent-ils d’eux-mêmes, de ce qu’ils aiment ou n’aiment pas ? Quelle conscience ont-ils de leur pourtour, de leur forme, de leur densité et de leur volume ? Que savent-ils de l’impact que ces corps produisent ; pour eux, entre eux et à l’extérieur ?
Autant de questions qui m’ont amenée à réfléchir et à penser l’accompagnement sous un angle différent.
Il y a les corps de ces jeunes et il y a les corps des équipes qui les accompagnent au quotidien. Ne dit-on pas, « faire corps » quand on parle d’un groupe ? Que subissent-ils, qu’endossent-ils ? Comment faire pour que toutes ces souffrances, ces injustices, ces impuissances, ces peurs, ces bonheurs aussi parfois, ces fatigues, ne restent pas engrammés en soi ? Comment faire pour les laisser nous traverser sans s’y accrocher ?
Le mental/l’esprit n’est pas séparé du corps, ils forment un tout. Accompagner et soigner dans la bientraitance et dans une relation professionnelle affective exige de s’accompagner et de se soigner en équipe.
Comment peut-on imaginer qu’un système ‘maltraité’ ou peu considéré, soit en mesure d’être un système bientraitant ? De la bonne santé des équipes, dépend la bonne santé des usagers !
Références éducatives et socio thérapeutiques principales :
Systémique. Théorie de l’attachement. Thérapeutique du soin et du lien. Lien développemental. Approche aux outils de relaxation.
Ex membre du Réseau (Belge, France, Suisse, Québec) de recherche et de formations en éducation, pédagogie et socio thérapeutique ; « Eduquer et Soigner ».
Références personnelles :
Educatrice spécialisée, socio thérapeute, formatrice
Formée en « Chaînes musculaires GDS », Dominique André à Bruxelles.
Massothérapeute, diplômée en Massage initiatique au Centre Ressourcement. Ecole Belge de thérapies et pratiques psychocorporelles, Philippe Mouchet à Bruxelles.
« Tout est changement, non pour ne plus être, mais pour devenir ce qui n’est pas encore ». Epictète